Aucun autre pays au monde ne peut se prévaloir d’un nombre si important de prix littéraires, au point qu’après avoir dépassé le chiffre astronomique de 2000 récompenses plus ou moins prestigieuses, nous avons arrêté de les compter. C'est que nos immortels eux-mêmes semblent donner le mauvais exemple, ils ne sont pas seulement prolixes avec les mots, leur vénérable Académie française — cette doyenne des prix littéraires modernes — distribue pas moins de soixante-dix récompenses par an aux différents laurés qui sont invités à se mirer sous sa divine coupole

 

Au-delà de cette institutionnalisation de la consécration littéraire, de son folklore essentiellement germanopratin, des vifs débats qu’elle ne manque pas d’engendrer rentrée après rentrée, du prestige souvent éphémère que la remise d’un prix confère à son auteur(e), ce phénomène national est cependant un élément fondamental pour la vitalité de l’activité éditoriale et donc pour l’industrie culturelle française dans son ensemble. La seule rentrée littéraire dite « de septembre » représente plus ou moins un cinquième du chiffre d’affaires annuel du secteur de l’édition, pourcentage qui est réalisé lui-même par seulement 5 % des ouvrages de la « saison », c’est-à-dire les livres obtenant l’un des « grands prix d’automne ».

 

Dans ce sens, ces manifestations médiatiques restent des leviers indispensables pour dynamiser la culture écrite et sa production, mais, également, pour réveiller périodiquement l’intérêt du public pour les littératures et leurs auteur(e)s.

 

Que l’on soit « pour » ou « contre » les prix, force est donc de constater que la France leur doit sa réputation toujours renouvelée de « nation littéraire », qu’ils contribuent à l’exceptionnelle vitalité de l'art d’écrire, à sa pluralité incontestable et, ce faisant, qu’ils œuvrent indirectement pour la préservation d’un aspect de cette « exception culturelle » que notre pays revendique — non sans certaines raisons ? — avec fierté.

 

Le choix de consacrer des espaces numériques de mémoire aux prix littéraires français les plus emblématiques s’inscrit dans cette perspective, tout en essayant de rester éloigné du tohu-bohu offert par le maelström mercantile ou idéologique de leurs actualités saisonnières — souvent harassant, toujours fugace.

 

Notre approche se veut résolument sociohistorique, car à travers la vie et l’étude de quelques prix choisis, ce sont les mœurs littéraires d’une époque, celles de ses gens de lettres, qui se dévoilent.

 

Plus encore : cet examen nous donne accès, année après année, aux préoccupations et aux pensées d’une élite intellectuelle, aux grands débats d’idées qui les accompagnent, aux orientations morales ou philosophiques que valide in fine l’octroi de ces récompenses un rien schizophréniques — souvent honnies mais toujours recherchées par les auteur(e)s puisque, dans un monde hypermédiatisé, elles garantissent une visibilité littéraire indispensable au succès.

 

Si, pour une époque donnée, la littérature reste l’un des miroirs les plus sûrs de sa société, alors les prix littéraires sont assurément les fidèles reflets de sa culture officielle et de ses modes de penser